Visite au Musée

Speedy Graphito

EXPOSITION
Exposition : Du 25 novembre 2021 au 15 janvier 2022
Adresse : 40 rue Voltaire & 46 rue Négrier à Lille
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Catalogue des oeuvres disponibles sur demande par mail où par téléphone :

Toute l’équipe de la Galerie Provost Hacker est heureuse de vous inviter à découvrir la nouvelle exposition personnelle de Speedy Graphito

« Visite au Musée »

Rendez-vous le jeudi 25 novembre 2021 à partir de 19h pour l’inauguration en présence de l’artiste.

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L’ornement n’est pas un crime !

Delacroix, Ingres, Géricault, Vinci, Georges de La Tour, Vermeer, Picasso… Ils sont tous là. Les grands maîtres de l’histoire de l’art classique et moderne que retrouvait Speedy Graphito adolescent lors de ses visites au musée du Louvre, mais aussi ceux qu’il copiait à neuf ans lorsqu’il prenait des cours de dessin. « Je reproduisais des tableaux de Vincent Van Gogh, Maurice de Vlaminck ou Georges Rouault à la gouache pour apprendre la couleur. Pouvoir donner différentes touches avec mon pinceau m’a donné goût à la peinture. » Une vocation était née. S’ils ont impressionné sa rétine et imprégné son pinceau, il s’en est affranchi pour affirmer sa propre signature, mais ils resurgissent ici ou là : de façon assez directe en 1986 lorsqu’il réinterprète le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, avec ses héros-robots hallucinés à la coiffure dentée, ou avec humour lorsque plus récemment, il a mis en scène les œuvres iconiques de l’art dans ses propres tableaux. Riri surfe sur la grande vague de Kanagawa, Wonder Woman, affublée de la moustache de Dalí, est projetée dans un tableau surréaliste peint à la manière du maître espagnol, Dragon Ball côtoie les tournesols de Van Gogh et de Bob l’éponge dans un intérieur, la femme au vase de Fernand Léger porte la silhouette emblématique de Keith Haring…. Il passe les grands maîtres au filtre de la pop culture et provoque des rencontres improbables avec les figures qui ont bercé notre enfance et qui sont ancrées dans l’inconscient collectif. Ses œuvres sont autant de fenêtres sur ses sources d’inspiration et expriment son désir d’abolir les clivages entre culture savante et culture de masse. Iconoclaste ou impertinent, il avait de toute façon prévenu au mitan des années 1980 dans un tableau « manifeste » : « Bonjour je m’appelle Speedy Graphito et je fais ce qui me plait. »

Aujourd’hui, en explorant les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art et en transformant la galerie en musée, Speedy Graphito poursuit ce projet de musée imaginaire qu’il avait exposé à l’Hôtel des Art de Toulon en 2019, mais aussi sa réflexion sur ce qui est au cœur de sa pratique, la peinture. Après avoir abordé la question de la couleur en ne retenant d’un tableau que la gamme colorée qu’il avait traduite en une superposition de lignes horizontales, il s’attaque ici à la composition. Car finalement, à quoi tient un tableau si ce n’est à cette composition ? Les diagonales, le nombre d’or, les lignes de force, la perspective, la spirale, la règle des tiers, l’équilibre entre les vides et les pleins, l’endroit où l’on place la ligne d’horizon… Tout cela participe de la narration et souligne un élan dramatique ou mystique, un caractère politique ou festif, oriente le regard qui saura comment circuler dans le tableau. Dans cet exercice de relecture, Speedy Graphito ne conserve que les silhouettes et la composition donc, et opère un véritable carambolage. La chair et les fonds se font motifs et aplats où s’entrechoquent des patterns décoratifs et des morceaux de tableaux arrachés à ceux de Pablo Picasso, Joan Miró, Henri Matisse, Vincent Van Gogh, Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Michel Basquiat, Keith Haring, Tom Wesselmann, Piet Mondrian… « Leur style reste reconnaissable au premier coup d’œil, même sur une petite surface. » Leur touche fait presque office de logo. Speedy joue du sampling, pioche, saisit et s’approprie en toute liberté, mixe tel un DJ avec sa propre playlist. Il appartient bien à la culture de son temps, héritière de ce XXe siècle façonné par la radicalité d’un Marcel Duchamp avec ses ready-made, le désir de spiritualité d’un Mondrian ou d’un Kandinsky ou la force de frappe d’un Warhol qui désacralise l’art. Démultipliées par la sérigraphie et mises en couleurs flashy, La Cène de Léonard de Vinci ou la Naissance de Vénus de Sandro Botticelli deviennent des icônes Pop. L’Internationale Situationniste de Guy Debord fait sauter le dernier verrou en revendiquant : « Les deux lois fondamentales du détournement sont la perte d’importance – allant jusqu’à la déperdition du sens premier – de chaque élément autonome détourné ; et en même temps, l’organisation d’un autre ensemble signifiant, qui confère à chaque élément sa nouvelle portée. » C’est bien ce qui se passe dans cette nouvelle série de Speedy, à cette nuance près qu’au lieu d’évoquer une « perte d’importance » on pourrait plutôt parler d’appropriation d’œuvres clés qu’il descend du piédestal sur lequel les musées les ont hissées, intouchables, pour les faire basculer dans le monde contemporain et les rendre vivantes. Un mouvement que l’on retrouve dans le théâtre lorsque les mises en scène déplacent le décor et la chronologie pour actualiser une pièce classique. Quitte à choquer les puristes.

Et l’on s’y perd presque. L’œuvre originale devient difficilement reconnaissable tant la surface s’aplanit en un all-over dense et perturbant. L’œil opère un va-et-vient entre l’identification du tableau original et des morceaux accolés. « Je travaille par rythmes, couleurs et confrontations de motifs pour créer une vibration qui fait apparaître ou disparaître l’image et ainsi jouer sur l’opposition visible/invisible, figuration/abstraction, casser les frontières. J’utilise plus les motifs comme un bruit qui brouille l’image. » Hommage aux pairs et citations, ces nouveaux tableaux sont construits comme le ferait un programme d’Intelligence Artificielle : les motifs remontent à la surface et s’agencent de façon aléatoire tout en s’affranchissant du sens. Si Speedy garde généralement le même titre que le tableau source, il supprime la narration ou la modifie comme c’est le cas avec la Dentellière de Vermeer – derrière laquelle il colle un dollar sérigraphié de Warhol – ou dans le portrait de Gabrielle. Les deux dames au bain sont traditionnellement identifiées comme étant Gabrielle d’Estrées, maîtresse de Henri IV et sa sœur, la duchesse de Villars. Gabrielle est représentée en tant que mère des enfants du roi (sa sœur lui pince le téton, signe d’allaitement) qui lui a promis de l’épouser, comme le symboliserait l’anneau qu’elle tient dans la main. Speedy les remplace par une femme en pleurs ou une héroïne d’une romance à l’eau de rose, tirées toutes les deux de couvertures de Comics intitulé « Our Love Story ». On troque ainsi une allégorie de la maternité et du bonheur pour un mélodrame. Il s’amuse aussi et rebaptise La Liberté guidant le peuple de Delacroix en un Avant-garde nous voila ! Un clin d’œil à l’histoire de l’art qui s’est écrite essentiellement à partir des avant-gardes, mais aussi à l’incessant désir des peintres de vouloir créer des ruptures et la remise en question tout court de la place des avant-gardes au XXIe siècle. L’important est d’être en mouvement.
Et puis il y a la Joconde, l’incontournable, l’icône absolue qui a certainement été l’œuvre la plus grimée et détournée depuis Duchamp. Speedy l’avait déjà décomposée en gélules sur un mur à la bombe ; si l’œil seul peinait à comprendre l’image, c’était à travers l’objectif de l’appareil photo ou du smartphone qu’elle se révélait par ricochet ! Ici, autre contexte, autre jeu. De janvier à octobre, soit durant les mois de préparation de l’exposition, il lui a tiré dix portraits. « Elle est tellement connue qu’on peut aller loin dans l’altération de son identité. Ce qui m’amusait était d’en faire une par mois qui serait nourrie par les autres toiles que je peignais en même temps. » Et c’est vrai que malgré la grande variété d’interprétations, on repère toujours cette silhouette inimitable.
Son Guernica quant à lui occupe une place à part dans cet ensemble, car il ne l’a pas réécrit à partir des « gimmick » des autres peintres, mais tatoué au posca avec ses propres motifs.

Dans ces mosaïques sophistiquées en deux dimensions, tout devient décoratif. La citation tant de fois recyclée de Maurice Denis (1870-1943) prend une nouvelle dimension : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Ici, l’événement artistique se déroule sur la surface plane. Les couleurs sont des motifs et le sujet disparaît. La conséquence est que la hiérarchie entre art et arts décoratifs tombe, l’un régénérant l’autre et vice versa. Rappelons que le père de Speedy était tapissier et que des nuanciers de tissu traînaient dans son atelier et faisaient partie du quotidien. Ce n’est donc pas un hasard si ses premières toiles dans les années 1980 étaient constituées d’un tissus imprimé tendu sur un châssis ou qu’il ait détourné les dessins des toiles de Jouy avec son Lapinture. Dans sa version des Femmes d’Alger, le décoratif prend le dessus : ce sont des pans de tissus aux motifs géométriques qui dominent plus que les citations artistiques. Les influences se croisent et la démarche est à rapprocher de celle de Henri Matisse qui conjuguait aussi bidimensionnalité et décoratif. Marqué par les ornementations infinies sur les architectures en Andalousie, il avait dans sa bibliothèque de travail de nombreux tissus, tapis persans, broderies arabes, tentures africaines, rideaux… qui l’ont largement nourri. Son avis était tranché : « C’est commettre une grave erreur de jugement que d’attribuer un sens péjoratif au mot décoratif. Le décoratif pour une œuvre d’art est une chose extrêmement précieuse. […] Il faut d’abord être décoratif. » L’ornemental devient en quelque sorte

un sujet en soi, le moyen d’accéder à la peinture en elle-même et de rejeter la condamnation de l’architecte viennois Adolf Loos, qui en 1908, publiait un ouvrage intitulé « L’ornement est un crime ».

Stéphanie Pioda, historienne de l’art et journaliste

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