Finger in the nose

Gaël Davrinche

EXPOSITION
Exposition : Du 07 avril 2017 au 27 mai 2017
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Catalogue des oeuvres disponibles sur demande par mail où par téléphone :

Gaël Davrinche connait ses classiques. Il a fait ses gammes et s’est nourri de la culture occidentale en la prenant dans son arbre généalogique, en étudiant de près les grands maîtres précédents avec ses références (Goya, Vélasquez, Géricault, Picasso…) et en assimilant les points marquants et pierre d’achoppement de l’histoire de l’art. Il aime à reprendre le fil de la discussion en dialoguant avec les peintres qui l’ont précédés.

Il revisite ou relit avec un regard neuf le thème traditionnel du portrait mais aussi les ruptures stylistiques ou les œuvres phares. Le phénomène de l’emprunt, de la variation autour d’un même thème, de la citation, du détournement joue un rôle crucial dans sa pratique contemporaine de la peinture. La référence aux œuvres classiques est devenue actuellement une composante récurrente dans la démarche des artistes. Chez Gaël Davrinche elle prend parfois une apparence de discours critique qui nous amène à nous interroger sur l’histoire de l’art toute entière, la transmission des savoirs de même que le rôle et la place de l’art.

Le travail de peinture que réalise Gaël Davrinche découle d’une chaîne qui remonte à l’œuvre source et celle-ci peut être clairement indiquée ou simplement évoquée.

La question qui survient est: du point de départ au point final, quelle est la nature du rapport qui existe entre les deux œuvres? Mais aussi quelle est l’intention de l’artiste dans ces réinterprétations, quel en est l’enjeu ? Et s’il emprunte, qu’apporte-il à son tour ? S’agit-il d’un prêté pour un rendu ? Sans aucun doute quand il réactualise l’art du passé c’est pour «inventer dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte» comme le dit Deleuze. L’artiste invente dans l’art un art autre.

Sa citation relève du métalangage. Il ne s’agit pas de réemploi mais bien d’œuvres originales qui s’inscrivent dans une réflexion entamée par d’autres artistes dans le passé. Faire du neuf avec du vieux, en quelque sorte. Emprunter pour mieux créer. Dans la gamme infiniment variée de ces jeux d’écho, Gaël Davrinche joue sur différents types d’emprunts : le modèle stylistique où il puise dans la manière, la griffe ou la signature d’un autre ou d’une époque. La reprise de la structure l’intéresse particulièrement dans l’organisation formelle de l’œuvre de départ, l’artiste la décortique cherche à trouver comment elle est faite, pas forcément pour mieux la comprendre mais pour rebondir à partir d’elle en produisant à son tour une création nouvelle. Cette pratique relève de ce qu’on pourrait nommer « l’hommage iconoclaste », sorte de prolongement du questionnement posé par l’artiste revisité et interrogation sur le thème éternel et central du métier d’artiste, au travers des allusions à la peinture du passé comme l’a fait Picasso avec les Ménines de Vélasquez, le déjeuner sur l’herbe de Manet ou les femmes d’Alger dans leur intérieur de Delacroix que Gaël Davrinche cite à son tour. L’emprunt se situe sur le plan iconographique : il s’agit alors de variations et déclinaisons du sujet classique du portrait pour le mettre au goût du jour et le réactualiser. Si la citation se signale sans équivoque dans un texte par la présence des guillemets marquant que l’auteur laisse la parole à un autre, dans les arts visuels l’emprunt reste plus discret et on ne le distingue pas toujours avec la même sûreté.

En peinture cette citation signifie également parler d’un autre ou avec un autre finalement parler de soi ou de l’humain en général. A vous d’utiliser toute votre acuité pour détecter les références auxquelles l’artiste s’est attaché. Il opère des raccourcis, des accélérations temporels comme pour remonter un ressort et utiliser l’effet de ricochets. Il créé une interaction entre l’œuvre référence et sa production qui en découle. Pour sentir toute la subtilité de ces rébus pour initiés, vous devrez faire preuve de grandes connaissances vous-même. Vous serez vite pris au jeu. Ces références doivent se lire dans un contexte qui permet d’en donner une lecture différente en rapport avec l’état du monde actuel étant donné que l’époque n’est plus la même que celle de la création de l’œuvre d’origine, de nouvelles pages d’histoire ont été tournées nous faisant prendre conscience du temps qui passe.

Pourtant devant les peintures de Gaël Davrinche certains se trouvent déroutés ou démunis. Quand on ne comprend pas une œuvre, on a tendance à penser que l’artiste a manqué son but et qu’il ne parvient pas à nous donner à voir quelque chose de beau et d’intelligible. On pense peut-être qu’il en n’en est pas capable, qu’il ne possède pas la technique nécessaire. Trop souvent, l’idée reste communément admise que les artistes contemporains ne savent plus dessiner, peindre. « Eh bien, si c’est cela de l’art, moi aussi j’en ferais autant, ça n’est pas plus évolué qu’un dessin d’enfant… ». Pourtant ce n’est pas si simple. Pour comprendre ce type d’expression artistique, il s’agit de saisir quelles ont été les intentions de l’auteur. Quand Picasso déforme le visage et le corps humains, c’est dans un esprit de révolte par rapport au portrait photographique et il a le désir de ne plus utiliser les règles enseignées depuis des siècles dans les écoles d’art. Il va se tourner vers une expression plus vive, libre et presque sauvage. Gaël Davrinche poursuit dans cette lignée. Il utilise un style qui s’apparente aux dessins d’enfants mais qui n’en a le charme que dans l’aspect naïf et spontané. L’ensemble est extrêmement maîtrisé, tant il domine sa technique avec maturité. Et c’est surtout d’une « enfance de l’art » dont il est question. La référence à Picasso est très prégnante car celui-ci, très tôt a peint et a été reconnu comme un artiste de talent, et s’est vu immédiatement projeté dans la cour des grands. En matière d’art, il s’est retrouvé adulte sans avoir eu réellement d’enfance. « Quand j’étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant » disait Picasso. Cependant, s’il est question de vision enfantine, en aucun cas il ne saurait être question d’infantilisme…Et Gaël Davrinche pose la même question que Picasso lui- même : « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant ? ». De son côté Jean Dubuffet aime les peintures que font les enfants et pense que ces œuvres faites rapidement et sans effort peuvent être plus efficaces que des tableaux produits dans le circuit culturel. Cette apparente facilité, qui donne l’impression qu’un enfant pourrait le faire, les doigts dans le nez, correspond en réalité à une longue étude et beaucoup de pratique. Cette peinture qui laisse l’expression sauvage et libre de l’artiste, proche de la fraicheur enfantine se fait particulièrement sentir dans les petits formats réalisés récemment par Gaël Davrinche.

Dans ce qu’il nomme ses toiles « néo- rupestres » où il retrouve la spontanéité du geste de l’époque où les chasseurs-cueilleurs (qui sans doute étaient des femmes) appliquaient sur les parois des grottes qui les abritaient. Surgissent dans la matière couleur des figures obtenues avec le geste de la main, réalisées du bout des doigts, sans le truchement du pinceau. Par ce geste primaire peut-être éprouve-t-il le besoin d’extérioriser son angoisse, ses peurs, le silence, ses pensées comme dans un repli dans les profondeurs de l’âme pour se retrouver, se reconnaître, voire se rassurer dans une pratique qui lui rappelle l’enfance. Ces œuvres ne proposent plus de sens de lecture et la question de la représentation s’y pose différemment. C’est une peinture faite de matière, où l’accident est exploité, où le va-et-vient du doute et de la décision reste visible. Dubuffet incitait ainsi les artistes à « respecter les impulsions, les spontanéités ancestrales de la main de l’homme lorsqu’elle trace des signes. On doit sentir l’homme et les faiblesses et les maladresses de l’homme dans tous les détails du tableau. » Et toutes les séries récentes de Gaël Davrinche, Kalachnikof (2012/2013), Under the skin (2015), ou celles de 2016 et 2017 sans nom particulier, s’aventurent de plus en plus vers une défiguration. La question de la figure, même si elle reste toujours importante et demeure au cœur de sa préoccupation picturale, s’efface progressivement pour glisser au second plan. Le sujet se voit passer après la forme. Dans cette peinture gestuelle, expressionniste, impétueuse et libre, c’est la domination du chaos, le no man’s land entre figuration et abstraction ; la couleur s’exprime librement, elle domine le dessin qui n’a plus sa place parmi les coulures, les traces de frottage ou de raclement. Les formes surgissent, méconnaissables, dans un enchevêtrement de teintes vibrantes et criardes ou disparaissent sous une épaisseur de matière. Le geste de l’artiste se fait sentir, son corps laisse des traces de sa présence. En découle ce qu’on pourrait appeler une «abstraction de la figure » elle se dissout, se délite, quitte la surface de la toile pour laisser place à la peinture elle-même. Introduire le hasard, l’accident, le ratage, la coulure, mais aussi l’éphémère dans sa création, c’est s’opposer à l’idée d’une parfaite maîtrise de la technique, du savoir-faire, du self-control de l’artiste, c’est accepter de ne plus chercher à atteindre la perfection mais de laisser plutôt s’exprimer l’intuition, c’est désirer s’étonner de tout, avoir encore la capacité de s’extasier, comme le fait un enfant. Pour réenchanter le monde en quelque sorte. C’est le désir profond de Gaël Davrinche de nous permettre d’oublier la violence de notre au monde au quotidien, lui qui a décidé une fois pour toute de se soustraire à l’horreur que nous divulgue l’actualité par l’omniprésence des médias. Cette réalité qu’il ne peut plus supporter, qu’il ne veut plus vivre, ni voir en face. Sa peinture en s’attaquant à la figure humaine, en ne parlant que de peinture et en se référant aux plus grands qui en ont écrit l’histoire, propose une sorte d’introspection sur l’homme et tente d’exprimer l’Etre profond loin de l’ego et de l’autodestruction de l’humanité, l’Autre désincarné. C’est en tout cas le pouvoir de l’art. Car pour citer à nouveau Picasso, « l’art lave notre âme de la poussière du quotidien ».

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